Délais de recours administratifs et covid19

L’application de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 en procédure administrative

Article réalisé par Maître Benjamin INGELAERE en collaboration avec l’Etude les Huissiers de Justice de La Bassée (huissierlabassee@gmail.com)

L’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période a vocation à s’appliquer en procédure administrative. 

Elle modifie notamment l’application des délais de recours contre une décision administrative, ou encore les délais dans lesquels l’administration peut prendre une décision. 

L’article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire dace à l’épidémie de covid-19 énonce que l’état d’urgence sanitaire est déclaré pour une durée de deux mois à compter de l’entrée en vigueur de la loi (article 22), soit du 24 mars 2020 jusqu’au 24 mai 2020

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  1. Titre 1 : Dispositions générales

A) Article 1er

Cette ordonnance est applicable aux délais et mesures qui ont expiré ou qui expirent entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire, soit le 24 juin 2020

Certains délais sont exclus du champ d’application de l’ordonnance, tels que : 

  • les délais concernant les élections régies par le Code électoral et les consultations auxquelles ce code est rendu applicable ; 
  • les délais concernant l’édiction et la mise en oeuvre de mesures privatives de liberté (telles que la rétention administrative, ou encore l’hospitalisation sans consentement). A différencier des mesures restrictives de liberté, qui entrent dans le champ d’application de l’ordonnance ;
  • les délais concernant les procédures d’inscription dans un établissement d’enseignement supérieur ou les voies d’accès à la fonction publique (concours, Parcoursup) ; 
  • les délais et mesures ayant fait l’objet d’adaptations particulières par la loi du 23 mars 2020.

B) Article 2

Tout acte ou recours qui aurait dû être accompli entre le 12 mars 2020 et le 24 juin 2020 est réputé avoir été fait à temps s’il est effectué dans les deux mois suivant cette période ; soit entre 245 juin 2020 et le 24 août 2020.

Il s’agit ainsi d’un mécanisme de report du terme de l’échéance, permettant aux actes qui devaient être réalisés entre le 12 mars 2020 et le 24 juin 2020 de bénéficier d’un délai supplémentaire pour être effectués. Ce délai supplémentaire permet donc à l’acte intervenu dans ce nouveau délai imparti de ne pas être regardé comme étant tardif. 

Cette disposition n’est applicable qu’aux délais arrivés à échéance ainsi qu’aux actes qui devaient être accomplis entre le 12 mars 2020 et le 24 juin 2020. 

Ainsi, elle ne peut s’appliquer aux délais prévus par voie contractuelle. 

Il convient de préciser que le délai de deux mois supplémentaire est un délai strict ; cela signifie que si le délai initialement prévu était supérieur à deux mois, le délai supplémentaire n’excédera tout de même pas deux mois (jusqu’au 24 août 2020 maximum).

Egalement, ce délai supplémentaire de deux mois est applicable sous réserve de l’existence d’un délai légal. Par conséquent, si le délai initial, fixé par la loi, était inférieur à deux mois, le délai supplémentaire commencera à courir à compter du 24 juin 2020 et perdurera selon la durée initialement fixée

C) Article 3

Les mesures administratives ou juridictionnelles dont l’échéance intervient au cours de la période allant du 12 mars 2020 au 24 juin 2020 sont prorogées de plein droit jusqu’au 24 août 2020.

Il s’agit : 

  • des mesures conservatoire, d’enquête, d’instruction, de conciliation ou de médiation ; 
  • des mesures d’interdiction ou de suspension qui n’ont pas été prononcées à titre de sanction ;
  • des autorisations, permis et agréments ; 
  • des mesures d’aide, d’accompagnement ou de soutien aux personnes en difficulté sociale ; 
  • des mesures judiciaires d’aide à la gestion du budget familial. 

Il convient de préciser que le juge ou l’autorité ayant prononcé ladite mesure avait le 12 mars 2020 dispose du pouvoir de la modifier ou d’y mettre fin. 

Cette disposition s’applique ainsi aux mesures prononcées par les autorités administratives, juridictionnelles, mais également par les autorités ordinales des professions. 

D) Article 4

Afin de tenir compte des difficultés d’exécution liées à l’état d’urgence sanitaire, les astreintes prononcées par les autorités administratives et juridictionnelles, ainsi que celles découlant de clauses contractuelles (ayant pour objet de sanctionner l’inexécution du débiteur), au cours de cette période sont paralysées. 

D’une part, les astreintes, clauses pénales, clauses résolutoires et clauses de déchéance ayant pour objet de sanctionner l’inexécution d’une obligation dans un délai déterminé sont réputées ne pas avoir pris cours ou produit d’effet si ledit délai est arrivé à échéance durant la période allant du 12 mars 2020 au 24 juin 2020.

Dans l’hypothèse où le débiteur n’a pas exécuté l’obligation par laquelle il est tenu d’ici là, ces clauses prendront effet à compter du 24 juillet 2020

D’autre part, en ce qui concerne les astreintes et les clauses pénales qui avaient commencé à courir avant le 12 mars 2020, leur cours se trouve suspendu durant la période allant du 12 mars 2020 au 24 juin 2020. Elles recommenceront à courir à compter du 25 juin 2020.

Il convient de préciser que concernant les astreintes ayant pris cours et les clauses ayant produit leurs effets avant le 12 mars 2020, l’autorité administrative ou juridictionnelle dispose du pouvoir d’y mettre fin. 

E) Article 5

Lorsqu’une partie n’a pas pu résilier ou s’opposer au renouvellement du contrat dans le délai imparti au vu de la crise sanitaire actuelle, celle-ci bénéficie d’un délai supplémentaire allant du 25 juin 2020 au 24 août 2020

II. Titre 2 : Dispositions particulières à la procédure administrative

A) Article 6

Ce titre s’applique :

  • aux administrations de l’Etat ; 
  • aux collectivités territoriales ;
  • aux établissements publics administratifs ;
  • aux organismes et personnes de droit public et de droit privé chargés d’une mission de service public administratif (y compris les organismes de sécurité sociale).

B) Article 7

  • Si une décision administrative émanant des autorités susmentionnées doit intervenir dans un délai qui n’a pas expiré avant le 12 mars 2020, ce délai est suspendu à compter de cette date, et ce jusqu’au 24 juin 2020. 

A titre exemple : l’administration devait prendre une décision entre le 12 février 2020 et le 12 avril 2020. Si l’administration n’a pas pris de décision avant le 12 mars 2020, le délai est suspendu à cette date. Ainsi, un mois s’est écoulé ; il restait donc un mois à l’administration pour prendre sa décision. Le délai recommence à courir à compter du 25 juin 2020, et ce pour un mois, donc jusqu’au 24 juillet 2020.

  • Si un délai aurait dû commencer à courir durant la période allant du 12 mars 2020 au 24 juin 2020, il ne commencera à courir qu’à la fin de cette période protégée

A titre d’exemple : l’administration devait prendre une décision entre le 20 mars 2020 et le 20 mai 2020. Ce délai ne commencera pas à courir à compter du 20 mars 2020, mais à compter du 25 juin 2020.    

Ces règles s’appliquent également :

  • aux délais impartis par ces autorités en vue de vérifier le caractère complet d’un dossier ou encore solliciter des pièces complémentaires dans le cadre de l’instruction d’une demande ;
  • aux délais prévu pour la consultation ou la participation du public. 

C) Article 8

Les délais imposés par l’administration à toute personne quant à la réalisation de contrôles et de travaux ou de mise en conformité à des prescriptions de toute nature, qui n’ont pas expiré avant le 12 mars 2020, sont suspendus jusqu’au 24 juin 2020 (sauf s’ils résultent d’une décision de justice). Le délai commencera alors à courir à compter du 25 juin 2020

D) Article 9

Des décrets peuvent intervenir en dérogation aux articles 7 et 8 de la présente ordonnance afin de déterminer les catégories d’actes, de procédures et d’obligations pour lesquels le cours des délais reprend, ou une date de reprise du délai est fixée.

Ces décrets peuvent également déroger aux règles fixées à l’article 4 de la présente ordonnance sur le cours des astreintes. 

E) Article 10

Certains délais, qui auraient dû commencer à courir durant la période allant du 12 mars 2020 au 24 juin 2020, sont suspendus pendant cette période juridiquement protégée et ne commenceront  à courir qu’à compter du 25 juin 2020

Ces délais sont ceux :

  • accordés à l’administration pour réparer les omissions totales ou partielles constatées dans l’assiette de l’impôt, les insuffisances, les inexactitudes ou les erreurs d’imposition et appliquer les intérêts de retard ainsi que les sanctions prévues par les articles L. 168 à L. 189 du livre des procédures fiscales et l’article 354 du Code des douanes lorsque la prescription est acquise au 31 décembre 2020 ; 
  • accordés à l’administration ou à toute personne ou entité et prévus par le Titre II du livre des procédures fiscales (sauf les délais de prescription prévus aux articles L. 168 à L. 189 et L. 198 A, ainsi qu’aux articles 67 S et 345 bis du Code des douanes) ; 
  • prévus à l’article 32 de la loi du 10 août 2018. 

F) Article 11

Les créances recouvrées par les comptables publics, dont les délais se trouvent en cours au 12 mars 2020 ou commencent à courir au durant la période allant du 12 mars 2020 au 24 juin 2020 sont suspendus jusqu’au 24 août 2020

G) Article 12 

Les enquêtes publiques en cours au 12 mars 2020, ou celles qui auraient dû être organisées durant la période juridiquement protégée (du 12 mars 2020 au 24 juin 2020), peuvent être amenées à rencontrer certaines difficultés dans leur réalisation au vu de l’état d’urgence sanitaire susceptibles d’entraîner des conséquences difficilement réparables dans la réalisation de projets présentant un intérêt national et ion caractère urgent.

Dans cette hypothèse, l’autorité compétente pour organiser cette enquête publique peut en adapter les modalités, et ce en poursuivant ou en organisant cette enquête par le biais de moyens électroniques dématérialisés ainsi qu’en allongeant la durée totale de celle-ci. 

Si l’enquête perdure au-delà du 24 juin 2020, l’autorité compétente peut mener la fin fin de cette enquête selon les modalités d’organisation de droit commun à compter du 25 juin 2020 et ce jusqu’à la durée de l’enquête restant à courir. 

Il convient de préciser que dès lors que l’autorité compétente prend une décision répondant à cet article, le public doit en être informé. 

III. Titre 3 : Dispositions diverses

A) Article 13

Les projets de texte réglementaire dont l’objet est de prévenir les conséquences de la propagation du covid-19 ou de répondre à situations résultant de l’état d’urgence sanitaire sont dispensés des consultations préalables normalement obligatoires, à l’exception des consultations réalisées par le Conseil d’Etat et les autorités saisies pour avis conforme (sous réserve des obligations prescrites par le droit international et le droit de l’Union européenne). 

Benjamin INGELAERE

Benjamin INGELAERE

Associé, Département droit public