La charte éthique au cœur des relations commerciales

Etude par Burak Kiraz et Thibaud Lemaitre

La responsabilité sociale désigne la tendance actuelle des grandes entreprises à prendre des engagements à travers une charte éthique notamment en matière sociale, éthique et environnementale, qui vont au-delà de la réglementation en vigueur dans les pays dans lesquels elles sont implantées.

Dès lors, avant de s’intéresser à l’élaboration et le champ d’application (II) de la charte éthique il est opportun de rappeler la définition (I). Par ailleurs, il convient d’apporter quelques explications en ce qui concerne le contenu (III) ainsi que les manquements et les sanctions encourues (IV) pour ensuite faire un état actuel de la jurisprudence (V) en la matière

  1. Définition de la charte éthique

Les relations commerciales entre un client et un fournisseur semblent prendre une nouvelle tournure.

Sous le regard des ONG, des organisations syndicales, des groupements de consommateurs et de plus en plus souvent à travers le relais des pouvoirs publics, de nombreuses entreprises doivent se conformer à une « éthique ».

Dans un livre vert rendu public en 2001, la Commission européenne a ainsi défini la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) comme « l’intégration volontaire des préoccupations sociales et écologiques des entreprises à leurs activités commerciales et leurs relations avec leurs parties prenantes (salariés, partenaires commerciaux, clients…).

Ces engagements éthiques des entreprises prennent ainsi forme dans des « codes de bonne conduite » et des chartes éthiques.

La charte éthique ou code de bonne conduite, est un document qui détermine les règles de conduite des engagements d’une entreprise, de ses salariés, de ses fournisseurs ainsi que de ses sous-traitants.

En d’autres termes, l’éthique fait référence aux pratiques responsables d’une entreprise pour un développement durable, conforme au droit du travail, au droit de l’Homme et aux exigences de probité.

Sur le plan juridique, l’article L. 7342-9 du Code du travail prévoit que les plateformes de mise en relation par voie électronique de leurs adhérents avec les personnes au profit desquelles ils exercent leur activité professionnelle peuvent « établir une charte déterminant les conditions et modalités d’exercice de [leur] responsabilité sociale, définissant [leurs] droits et obligations ainsi que ceux des travailleurs ».

La charte éthique est également consacrée par l’article 4 de la loi n°2020-1266 du 19 octobre 2020 destiné à encadrer l’exploitation commerciale de l’image d’enfants de moins de seize ans sur les  plateformes en ligne lorsqu’il impose aux services des plateformes de partage de vidéos l’adoption d’une « charte » ayant notamment pour objet, par le jeu de dispositifs d’information, de sensibilisation, de détection et de signalement, la protection des droits des enfants, de leur vie privée, de leur dignité et de leur intégrité morale et physique.

2. L’élaboration et le champ d’application de la charte

L’élaboration de la charte est avant toute chose un instrument juridique visant à déterminer les comportements que doivent respecter les parties prenantes.

La charte éthique est aussi appréhendée par les entreprises importantes comme un instrument de communication politique à destination des pouvoirs publics, de communication commerciale à l’adresse des consommateurs et de communication sociale à l’endroit de salariés auxquels elle fournit un cadre d’action de nature à renforcer l’identité et l’attractivité de l’entité au service de laquelle ils mettent leur force de travail.

Sur ce dernier point, il convient de souligner que l’argument peut se retourner contre l’entreprise en cas de non-respect des engagements (la justice française a engagé des poursuites contre Samsung France pour “pratiques commerciales trompeuses”. Il est reproché au géant des téléphones d’afficher des engagements éthiques sur le respect des droits des travailleurs, pourtant bafoués dans certaines de ses usines en Chine, en Corée et au Vietnam).

Le champ d’application du code de conduite peut être limité au périmètre de l’entreprise dans le cadre de laquelle elle a été adoptée. Cependant, il n’est pas rare que les entités qui composent la chaîne d’approvisionnement (supply chain) – généralement implantées dans des pays où les réglementations ne sont pas respectées – soient également concernées par les règles de conduite édictées.

Quel que soit l’acte qui a servi de support à la charte, se pose la question de la reconnaissance pratique par les fournisseurs et sous-traitants de l’acte.

Deux voies peuvent être utilisées :

  • il est demandé aux intéressés d’apposer leur signature sur la charte accompagnée de la mention selon laquelle ils s’engagent à l’appliquer, en tout ou en partie, cette partie étant elle-même précisément indiquée
  • il est établi un acte particulier, soumis à la signature des partenaires commerciaux de l’entreprise, portant indication :
  1. de l’engagement de ces derniers de respecter tout ou partie de la charte éthique adoptée par celle-ci
  • des moyens qu’elle pourra, le cas échéant, mettre en œuvre pour vérifier le respect de l’engagement souscrit
  •  des sanctions susceptibles d’être prises dès lors que des manquements seraient constatés

Le contenu de la charte d’éthique est un ensemble de principes entre les partenaires économiques d’une entreprise.

3. Le contenu des chartes éthiques

Ainsi, le code de conduite se rattache à la responsabilité sociale de l’entreprise permettant de définir le contour des règles de conduite. Destinés à réguler les comportements au sein d’une entreprise, le code de conduite a pour objet le respect de la dignité, la confidentialité, l’égalité et enfin de la sécurité.

Afin de consolider un environnement de travail positif à l’égard de ceux qui œuvrent en son sein, notamment à ceux qui apportent leur force de travail à ses fournisseurs ou aux sous-traitants, l’entreprise peut être amenée à souscrire de nombreux engagements qui devront être respectés.

L’un des engagements les plus importants en la matière est la dignité et le respect des droit humains fondamentaux. La dignité est considérée comme un impératif absolu de la charte éthique, car elle a pour vocation de traiter chacun avec considération. 

C’est ainsi que la préservation de la dignité est souvent accompagnée de textes juridiques pour consolider son importance tels que la Déclaration universelle des droits de l’homme, du Pacte mondial des Nations Unies, aux conventions de l’OIT (Organisation Internationale du Travail), aux principes posés par l’OCDE.

D’autres sources juridiques peuvent également accompagner, mais plus rarement, la charte éthique telles que la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et enfin aux codes de conduite adoptés par des organisations professionnelles européennes ou internationales.

La charte éthique consacre fréquemment une partie sur la confidentialité. Par confidentialité, l’on entend les données personnelles et de vie privée de l’ensemble des acteurs de la chaîne d’approvisionnement. Cet engagement de non-divulgation des données personnelles est une garantie du respect de la vie privée mais encore de l’ensemble des droits rassemblés sous la bannière des droits de la personnalité des intéressés.

Les chartes éthiques, souvent, se préoccupe de « l’épanouissement » de ses collaborateurs, lui-même générateur d’un « climat de travail constructif ».

Interviens également au sein de la charte éthique, le volet portant sur l’égalité qui est un des thèmes les plus récurrents dans la rédaction des chartes éthiques.

Elle est destinée à promouvoir l’égalité des chances et l’égalité de traitement, la nécessité de donner toute sa place à la diversité et à la valorisation des talents afin de faciliter l’intégration professionnelle de groupes sociaux ou ethniques sous-représentés.

Par exemple, la traçabilité des choix en termes de recrutement et d’évolution de carrière est mise en avant par la charte éthique de l’Opéra national de Paris en tant qu’instrument de mesure des résultats obtenus sur le double terrain de l’égalité professionnelle et de la diversité. L’égalité de traitement est, par essence, porteuse de l’exclusion, à chaque étape de la relation de travail, de toute discrimination fondée, entre autres, sur le sexe, l’âge, l’origine ethnique, les opinions ou convictions. Le nécessaire respect de ces dernières est régulièrement affirmé en même temps qu’est soulignée la nécessité que les opinions politiques ou les convictions religieuses des collaborateurs de l’entreprise n’interfèrent pas avec l’activité de celle-ci.

La sécurité est une notion omniprésente retrouvée dans les différents codes éthique des sociétés. Le respect dû à chacun est indissociable de l’attention portée à sa sécurité, donc à son intégrité physique et psychique et, au-delà, à sa santé. Éviter les accidents du travail et les maladies professionnelles requiert, en amont, de s’attacher à une constante amélioration des conditions de travail. Afin d’assurer la protection des salariés, la maîtrise des risques inhérents à l’activité de l’entreprise s’impose. Elle constitue un élément clé d’une politique de prévention appelant l’adoption des mesures correctives qu’exigent les risques identifiés, variables selon la nature de l’activité de l’entreprise.

Enfin la probité, qui est le sujet principal de la Loi « SAPIN  II»,  fait quant à elle classiquement l’objet de code de conduite dédié.

Il est enfin évidemment possible d’y inclure d’autres sujets sociétaux ou environnementaux.

4. Les manquements et les sanctions

Dès lors qu’un manquement à la charte éthique en vigueur dans l’entreprise a été constaté, que ce soit à la suite du lancement d’une alerte ou par quelques autres canaux, la question de la sanction peut rapidement se poser. La sanction varie selon que l’auteur de la défaillance observée est l’employeur (1), un salarié de l’entreprise (2) ou un partenaire commercial de celle-ci, fournisseur ou sous-traitant, à qui elle avait demandé de respecter la charte adoptée (3).

  • L’employeur

L’employeur est bien entendu tenu au respect des règles de comportement édicté par sa propre charte.

En cas de manquement, les dirigeants peuvent être démis de leurs fonctions, mais aussi être privés du mandat social dont ils étaient investis dès lors qu’ils auraient manqué dans l’ordre de l’éthique tel que dessiné par la charte établie, de rigueur ou de vigilance.

Lorsque le ou les dirigeants sont défaillants à l’égard de leurs obligations, ils s’exposent :

  • à l’exercice d’actions en exécution forcée et en responsabilité exercée par les salariés victimes de son comportement, que ce soit, selon le support juridique donné à la charte, en raison de la méconnaissance d’une obligation conventionnelle ou contractuelle ou d’un engagement unilatéral
  • à l’exercice d’actions, investies du même objet que les précédentes, par les syndicats signataires de l’accord collectif porteur de la charte lorsque tel fut le vecteur utilisé pour en assurer la mise en place et, au-delà, par toute organisation syndicale présente dans l’entreprise agissant pour la défense des intérêts collectifs dont elle a statutairement la charge
  • à l’exercice d’actions qui peuvent être aussi, selon les circonstances, à la fois en exécution forcée et en responsabilité ou uniquement en responsabilité, de la part de tous ceux qui peuvent puiser un droit de créance dans la charte établie : salariés de fournisseurs ou de sous-traitants lorsque l’entreprise s’était engagée à veiller à ce qu’un socle minimum de droits sociaux leur soit garanti et n’a pas tenu cet engagement ; populations locales dont l’entreprise avait promis de respecter les lieux consacrés, traditions, ressources dès lors qu’elle a oublié cette promesse ; ONG constatant la méconnaissance d’engagements qui relèvent de leur champ statutaire…
  • à l’exercice d’actions  en responsabilité civile visant à condamner au paiement de dommages et intérêts pour réparer le préjudice subi par « toute personne justifiant d’un intérêt à agir » si l’employeur est tenu par l’application de la Loi sur le devoir de Vigilance.
  • Enfin, ils peuvent évidemment faire l’objet de sanction pénales si le comportement visé dans la charte est aussi sanctionné pénalement (exemple : un acte de corruption).

On notera également que dans certaines hypothèses, l’absence de mise en place de la charte expose l’employeur à des sanctions civiles ou administratives (Loi sur le devoir de vigilance, Loi Sapin II…)

La portée générale de la charte éthique permet son application auprès des salariés où différentes sanctions peuvent être encourues.

  • Le salarié

La multiplication des chartes éthique a conduit le Ministère du travail à élaborer une circulaire afin de permettre aux inspecteurs du travail de mieux contrôler ces chartes, et d’éviter ainsi que les employeurs ne se servent de celles-ci pour imposer à leurs salariés des obligations illicites, ou pour contourner les règles d’élaboration du règlement intérieur.

Précisons que dans le cas d’un salarié qui ne respecterait pas les engagements de la charte éthique peut faire l’objet soit d’une sanction professionnelle (a) ou soit d’une sanction disciplinaire (b).

a. La sanction « professionnelle »

Lors des entretiens d’évaluation organisés avec chaque salarié afin de mesurer ses performances, il n’est pas proscrit qu’il puisse figurer dans la grille d’évaluation la conformité du comportement de l’intéressé à la charte éthique en vigueur dans l’entreprise.

Le respect de la charte éthique par le salarié et son aptitude à la faire appliquer sont de nature à peser sur le déroulement de sa carrière. La détermination de l’entreprise à obtenir le respect de la charte adoptée peut sensiblement réduire la distance séparant une décision à caractère strictement professionnel d’une mesure d’ordre disciplinaire, ce que laisse présager la formule selon laquelle nul au sein du groupe ne peut s’affranchir des règles édictées, à caractère impératif, quel que soit son niveau hiérarchique

b. La sanction disciplinaire

Dès lors qu’un salarié est l’auteur d’un manquement du code éthique de l’entreprise, ce dernier peut-il faire l’objet d’une sanction disciplinaire ?

La réponse est affirmative, sous réserve que la charte établie à destination de salariés travaillant en France ait été rédigée en français et, le cas échéant, ait été traduite dans les langues parlées par les étrangers œuvrant dans l’entreprise sur le sol français (C. trav., art. L. 1321-6) :

  • lorsque la charte a un contenu et a été adoptée dans des conditions qui en font un élément du règlement intérieur de l’entreprise
  • lorsqu’elle revêt la forme d’une note de service, adoptée dans des conditions régulières, porteuse de prescriptions ou bien relèvent du domaine du règlement intérieur, avec le résultat qu’elles sont dotées de l’autorité attachée à ce dernier, ou bien lui sont étrangères mais s’imposent aux salariés en tant qu’expressions du « pouvoir normatif » de l’employeur
  • Lorsqu’elle est née de négociations conduites avec les syndicats représentatifs dans l’entreprise et a accédé au rang d’accords collectif, source de droit et d’obligations pour tous
  • Lorsque tout ou partie de ses dispositions, avec l’accord du salarié, ont été contractualisés, sous réserve, dans le cas où ne fut opérée qu’une contractualisation partielle, que la défaillance relevée s’inscrive dans le périmètre de cette dernière

De la même manière, le salarié peut aussi s’exposer à la sanction pénale.

Mais même en dehors des circonstances précédentes, il est rare, eu égard à la substance des chartes éthiques, que la violation de leurs prescriptions ne puisse être analysée en une cause réelle et sérieuse de licenciement, voire en une faute grave. Néanmoins, constitue les comportements comme ouvrant la voie au prononcé de sanctions disciplinaires le salarié qui se livre à des pratiques discriminatoires ou de harcèlement, révèle des données confidentielles, contrevient à des règles de sécurité, procède à des détournements de fonds.

Enfin en termes d’applicabilité de la charte éthique, il est opportun de s’intéresser particulièrement aux partenaires commerciaux.

  • Le partenaire commercial

Dans le cadre d’un partenaire commercial, il est opportun de dissocier dans un premier temps la présence d’un engagement contractuel (a) et dans un second temps l’absence d’engagement contractuel (b).

  1. Présence d’un engagement contractuel

Dès lors qu’un partenaire commercial de l’entreprise, fournisseur ou sous-traitant, s’est contractuellement engagé à respecter les dispositions de la charte adoptée par celle-ci, les manquements relevés à l’engagement qu’il a souscrit l’exposent au jeu des sanctions dont il est assorti. Avant d’envisager la rupture des liens établis avec l’entité défaillante – dont le remplacement peut se révéler malaisé – des mesures valant uniquement pression exercée sur un partenaire négligent sont généralement prévues.

Ainsi la charte éthique fournisseurs du groupe Barrière que chacun de ces derniers est appelé à signer, autorisant par là même le groupe à en vérifier le respect, impose au partenaire défaillant de mettre en œuvre des actions correctives et de fournir la preuve de leur efficacité. Une défaillance persistante peut conduire, le cas échéant après une séquence de mise en demeure, éventuellement sous astreinte, en fonction de ce qu’autorise la législation applicable, à la rupture du lien contractuel, parfois expressément prévue par la charte, le cas échéant accompagné d’une action en paiement de dommages-intérêts.

Cependant, une autre possibilité est permise afin d’éviter toute rupture génératrice de contentieux, qui est celle du non-renouvellement de l’accord avec le fournisseur ou le sous-traitant concerné et ainsi d’évincer ce dernier de la liste de ses fournisseurs ou de sous-traitants potentiels.

2. Absence d’engagement contractuel

Il n’est pas rare que certains fournisseurs ou de sous-traitants ne soient pas contractuellement engagés à appliquer le code de conduite adopté par l’entreprise. Cependant, ils ne sont pas dispensés de les respecter.

En revanche, il peut être compliqué de rompre avec un partenaire commercial au motif de défaillances éthiques alors qu’aucun engagement n’avait été pris entre les parties.

5. L’état actuel de la jurisprudence

Deux décisions de la Cour d’appel de Paris en date du 24 mars 2021 et 5 mai 2021 vont être analysées au sein de cette partie.

En ce qui concerne le premier arrêt, la Cour d’appel de Paris (Cour d’appel de Paris, Pôle 5 – chambre 4, 24 mars 2021, n° 19/15565) précise la possibilité de retenir le non-respect d’un code éthique pour justifier la rupture des relations commerciales sans préavis.

Dans le cas d’espèce, il s’agissait de la société Promod, spécialisé dans le prêt-à-porter qui était en contentieux avec l’un de ses fournisseurs depuis 2013.

Dans le cadre de leur relation commerciale formalisée par la conclusion d’une convention annuelle unique et renouvelable chaque année, la société Promod avait annexé à ses conventions uniques un code éthique obligeant aux fournisseurs de respecter la législation sociale et de la faire respecter aux différents sous-traitants.

Le code éthique prévoyait notamment la validation par Promod des sous-traitants de ses fournisseurs en ce qui concerne les sites de production. A la suite d’une commande passée auprès de son fournisseur, Promod a réalisé un audit dans l’une de ses usines de production et par conséquent constaté le non-respect des dispositions relatives au Code du travail.

Malgré plusieurs avertissements de la société Promod à l’égard de son fournisseur de mettre en place les mesures nécessaire relatives au code de bonne conduite, la société Promod a finalement pris la décision de rompre sans préavis les relations commerciales avec son fournisseur.

Une action en justice a été introduite par le fournisseur notamment en vertu de l’article L.442-1 (anciennement L.442-6 I §5) du Code de commerce pour rupture brutale des relations commerciales établies.

L’affaire a été portée devant la Cour d’appel de Paris qui a confirmé le jugement du Tribunal de Commerce de Lille. Pour cause, la juridiction lilloise avait rejeté la réclamation du fournisseur en considérant que le non-respect de la déontologie de Promod n’était pas contesté et que, malgré les nombreux avertissements de la société défenderesse, le plaignant ne s’était pas conformer au code éthique et aux règles de l’Organisation Internationale du Travail ainsi qu’aux lois applicables.

En effet, la société Promod pour justifier la rupture des liens commerciaux avait relevé qu’au sein du site de production, le fournisseur ne respectait pas les conditions de santé et de sécurité sans oublier les rémunérations inférieures au salaire minimum légal au regard du nombre d’heures effectivement travaillée.

En revanche, il est opportun de s’intéresser par quels moyens la Cour d’appel de Paris a permis une exonération complète de la responsabilité de Promod pour rupture immédiate de la relation commerciale établie. La juridiction du second degré a considéré que le respect de la législation du droit du travail par le fournisseur avait été « à juste titre jugé essentielles par la société Promod ».

Dès lors, la Cour d’appel de Paris impute la rupture des relations commerciales au fournisseur et précise que ce dernier a perdu la confiance  d’une part de la société Promod et que d’autre part, le fournisseur a été dans l’incapacité d’ « intégrer et à assumer les nouvelles normes rendues obligatoires en vertu du Code éthique ».

Cette décision attendue, se conforme à la résolution adoptée par le Parlement européen le 10 mars 2021 (Résolution du Parlement européen du 10 mars 2021 contenant des recommandations à la Commission sur le devoir de diligence et la responsabilité des entreprises 2020/2129 (INL)) en faveur d’une législation européenne contraignante sous la forme d’une directive sur « le devoir de vigilance et la responsabilité des entreprises ».

A travers cette résolution, le Parlement européen souhaite rendre les grandes entreprises européennes responsables de toutes leurs activités, y compris celles des sous-traitants basés à l’étranger, en créant une responsabilité juridique. La Commission européenne devrait donner son avis sur ce projet de directive dans les mois à venir.

Notons par ailleurs une autre décision rendue, toujours par la Cour d’appel de Paris le 5 mai 2021 (Cour d’appel de Paris, Pôle 5 – chambre 4, 5 mai 2021, n° 19/15680).

Dans ce cas d’espèce, il s’agissait d’un fournisseur qui était en relation commerciale avec une centrale de référencement depuis 2010. La centrale de référencement a adopté une charte d’éthique en 2014 avec une partie réservée sur l’anti-corruption. Cette charte a été signée par son partenaire commercial en 2018.

A la suite de la réalisation d’une enquête interne, la centrale de référencement a constaté la violation de la charte éthique par un fournisseur. Pour cause, il s’agissait d’un des responsables de la centrale de référencement qui s’est vu offrir une mallette, une caisse du champagne ainsi qu’un voyage avec son épouse à destination de l’île Maurice par le président  de la société fournisseur à la fin de l’année 2017.

Suite à cette découverte, la centrale de référencement a annoncé la cessation immédiate du partenariat avec le fournisseur. Le litige a été porté devant les juridictions, le fournisseur soutenait que les faits reprochés datant de 2017, étaient antérieurs à la signature de la charte éthique.

Néanmoins, la Cour d’appel considère que le fournisseur ne pouvait pas ignorer la connaissance de cette charte bien qu’elle soit signée après les faits mais applicable aux fournisseurs depuis 2014.

La Cour d’appel de Paris dans cet arrêt du 5 mai souligne qu’ « en tout état de cause [il s’agit] de procédés déloyaux (…) de nature à justifier en raison de leur gravité, la rupture immédiate et sans préavis des relations commerciales entre les parties ».

Ces récentes décisions jurisprudentielles viennent consolider les précédentes décisions qui se développent autour du respect des normes éthiques.

En effet, déjà en 2019, dans le cadre d’un litige opposant la société MONOPRIX à l’un de ses fournisseurs, la Cour d’appel de Paris avait eu l’occasion de se prononcer sur la rupture brutale des relations commerciales.

En l’espèce, à la suite d’un audit social réalisé en mai 2013 dans deux des trois usines de son fournisseur, la société MONOPRIX a décidé de suspendre ses relations commerciales assorties d’un délai de 15 jours pour recevoir une proposition « sérieuse et professionnelle » en raison de la méconnaissance par ce dernier des règles applicables en matière sociale et éthique. Dès lors, le fournisseur a assigné devant le Tribunal de commerce la société MONOPRIX reprochant à la société défenderesse la rupture brutale et sans préavis des relations commerciales sur le fondement de l’article L.442-6 I du Code de commerce. Le Tribunal de commerce ayant débouté les demandes du fournisseur ce dernier a interjeté appel de la décision de première instance.

La Cour d’appel de Paris pour confirmer le jugement rendu le 13 novembre 2017, a relevé que les manquements du fournisseur à ses obligations de vigilance résultant des normes éthiques édictées par la société MONOPRIX justifiaient la rupture immédiate des relations commerciales (CA Paris, 13 mars 2019, n°17/21477).

Ainsi, les grands groupes assujettis à la loi Sapin II ainsi qu’à la loi sur le devoir de vigilance édictent des codes de conduite qu’ils diffusent auprès de leurs partenaires commerciaux. Si de telles mesures leur permettent d’éviter tout risque de non-conformité, il reste que ces derniers se doivent également de respecter les normes éthiques auxquelles ils s’engagent dans le cadre de leurs relations commerciales

Réciproquement, l’arrêt met en exergue l’importance pour les partenaires commerciaux qui, indépendamment de leur taille, s’engagent à respecter les codes de conduite des grands groupes avec lesquels ils sont en relation commerciale, d’effectivement respecter les obligations qui en sont issues. Ils ont auront ainsi tout intérêt à mettre en place des dispositifs de conformité et de contrôles des mesures adaptées à la taille de leur structure. Un tel mécanisme permettra de pallier au mieux le risque de rupture des relations commerciales établies résultant de violations de normes éthiques.

Les faits objets de l’espèce ont été révélés par une enquête interne. Autrement dit, si les procédures d’enquêtes internes sont désormais ancrées au sein des grands groupes, cet arrêt a le mérite de souligner l’importance d’une procédure extrêmement soignée en ce que les résultats de telles enquêtes peuvent être produits en justice pour fonder et justifier la rupture immédiate de relations commerciales.

Les entreprises sont ainsi vivement encouragées à mettre en place des procédures d’enquête interne définies et formalisées permettant de produire efficacement les résultats de l’enquête devant le juge.

Thibaud Lemaitre

Thibaud Lemaitre

Associé Département Pénal des affaires / Risques graves / Compliance