Les critères RSE dans la commande publique : actualité récente des tribunaux administratifs de Dijon et Bastia.

Ces deux tribunaux ont eu à apprécier la légalité du recours à un critère RSE (responsabilité sociale de l’entreprise) pour la sélection de l’offre économiquement la plus avantageuse ; par deux décisions, respectivement en date du 7 et 21 juillet 2022, ils en ont admis la validité[1].

A titre liminaire, la RSE est définie, par la commission européenne, comme l’intégration volontaire par les entreprises de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec les parties prenantes[2].

La question qui se posait était donc de savoir si un acheteur ou une autorité concédante pouvait, dans le cadre de passation d’un contrat relevant du code de la commande publique, prévoir un critère d’examen d’une telle démarche RSE.

Cette solution n’était pas une évidence au regard de l’état du droit en la matière alors même qu’il y a une forte demande pour que le droit de la commande publique, et plus généralement le Droit, concourt aux objectifs de développement durable.

Bien que le Conseil d’Etat ait assoupli sa position[3], il exige toutefois des pouvoirs adjudicateurs et entités adjudicatrices que les critères soient liés à l’objet du marché ou à ses conditions d’exécution : Conseil d’Etat, 05 mai 2018, n°417580, Nantes Métropoles, publié au recueil Lebon.

Par cette décision, qui concernait déjà les critères « comprenant des aspects sociaux », la Haute juridiction définit le contrôle que la personne publique doit adopter dans son analyse des offres :

« si l’acheteur peut, pour sélectionner l’offre économiquement la plus avantageuse, mettre en œuvre des critères comprenant des aspects sociaux, c’est à la condition, notamment, qu’ils soient liés à l’objet du marché ou à ses conditions d’exécution ; qu’à cet égard, des critères à caractère social, relatifs notamment à l’emploi, aux conditions de travail ou à l’insertion professionnelle des personnes en difficulté, peuvent concerner toutes les activités des entreprises soumissionnaires, pour autant qu’elles concourent à la réalisation des prestations prévues par le marché ; que ces dispositions n’ont, en revanche, ni pour objet ni pour effet de permettre l’utilisation d’un critère relatif à la politique générale de l’entreprise en matière sociale, apprécié au regard de l’ensemble de son activité et indistinctement applicable à l’ensemble des marchés de l’acheteur, indépendamment de l’objet ou des conditions d’exécution propres au marché en cause ». Il ressort ainsi de cette décision qu’un critère RSE standardisé n’est pas valide ; c’est d’ailleurs ce que reprochera le Conseil d’Etat à Nantes Métropoles, en considérant que : «  le critère de « performance en matière de responsabilité sociale » ne concerne pas seulement les conditions dans lesquelles les entreprises candidates exécuteraient l’accord-cadre en litige mais porte sur l’ensemble de leur activité et a pour objectif d’évaluer leur politique générale en matière sociale, sans s’attacher aux éléments caractérisant le processus spécifique de réalisation des travaux d’impression prévus par le contrat » et que, dans ces conditions, ce critère : « n’a pas un lien suffisant avec l’objet du marché ou ses conditions d’exécution ».

Les décisions des tribunaux administratifs commentées appliquent la décision Nantes Métropoles en reconnaissant, l’un explicitement l’autre implicitement, que les critères RSE querellés étaient donc liés à l’objet du marché ou à ses conditions d’exécution.

D’une part le tribunal administratif de Dijon, dans le cadre d’un recours en contestation de la validité du contrat, a admis implicitement, la validité d’un tel critère RSE dans la mesure où le requérant a développé un moyen portant sur l’appréciation manifestement erronée voire entachée d’une dénaturation du critère RSE.

D’autre part le juge des référés du tribunal administratif de Bastia, dans le cadre d’un référé précontractuel, a admis explicitement la validité d’un critère RSE en considérant que : 

« L’autorité concédante peut légalement prévoir d’apprécier les offres au regard d’un critère relatif aux performances sociales et environnementales notamment, dès lors que ce critère n’est pas discriminatoire et lui permet d’apprécier objectivement ces offres. ».

En l’espèce, il s’agit d’un critère pondéré à hauteur de de 10 % de la note totale : « Le règlement de consultation prévoit que le candidat présente ses actions et son niveau d’engagement ainsi que les moyens de les contrôler en matière de responsabilité sociétale des entreprises, à savoir, performances éthiques, sociales et environnementales. A cet effet, un guide de rédaction du plan des actions au titre de la responsabilité sociétale de l’entreprise est joint au règlement en annexe 3. L’article 22 du projet de convention prescrit quant à lui que le délégataire met en œuvre un plan d’actions portant, entre autres, sur la valorisation du capital humain et la préservation de l’environnement, notamment en termes d’optimisation des consommations des navires exploités. Il prévoit en outre que le délégataire présente dans le cadre de l’exécution de la convention trois projets d’expérimentation visant à réduire l’impact environnemental de la desserte maritime. Le dossier de consultation comporte ainsi des précisions suffisantes sur les attentes de la collectivité de Corse en matière de responsabilité sociétale des candidats. »

Le juge des référés de considérer que ce critère n’est pas : « étranger aux conditions d’exécution de la délégation de service public, ne laisse pas à l’autorité concédante une marge de choix indéterminée et ne crée pas de rupture d’égalité entre les candidats. ».

Cette décision apporte une précision importante, par rapport à la décision Nantes Métropoles, tenant à ce que critère soit suffisamment précis pour ne pas être discriminatoire ou qu’il ne laisse une marge d’appréciation trop importante à l’autorité concédante, ici, mais également à l’acheteur public.

Il ne reste plus qu’à savoir si le Conseil d’Etat valide une telle interprétation ; affaire à suivre !


Article rédigé par Me Alexandre BLANCO – Avocat collaborateur chez Osten AVOCATS.

Pôle Droit public des affaires – contact : team@ingelaere-avocats.fr / 0781149330


[1] : TA Dijon, 7 juill. 2022, n° 2100550 et TA Bastia, 20 juill. 2022, n° 2200797

[2] : « Responsabilité sociale des entreprises: une nouvelle stratégie de l’UE pour la période 2011-2014 ».

[3] : Dans un premier temps, le Conseil d’Etat, dans sa décision du 21 juillet 2001, commune de Gravelines (n° 299666, p. 391), jugeait qu’un critère « relatif aux propositions concrètes faites par les soumissionnaires en matière de création d’emplois, d’insertion et de formation était sans rapport avec l’objet d’un marché public conclu pour la réhabilitation d’une décharge et, par suite, illégal ».

Dans un second temps, après l’introduction dans le code des marchés publics de 2006 de la possibilité de prendre en compte des considérations sociales, le Conseil d’Etat est revenue sur sa position stricte en considérant, dans sa décision Département de l’Isère du 25 mars 2013 (n° 364950, au rec), que : « dans le cadre d’une procédure d’attribution d’un marché qui, eu égard à son objet, est susceptible d’être exécuté, au moins en partie, par des personnels engagés dans une démarche d’insertion, le pouvoir adjudicateur peut légalement prévoir d’apprécier les offres au regard du critère d’insertion professionnelle des publics en difficulté mentionné au 1° du I de l’article 53 du code des marchés publics (CMP), dès lors que ce critère n’est pas  discriminatoire et lui permet d’apprécier objectivement ces offres » : Gilles PELLISSIER, conclusions sur la décision n°417580.

Benjamin INGELAERE

Benjamin INGELAERE

Associé, Département droit public