Intermarché/Coca-Cola, de saines intentions, une rupture indigeste ?

Tribunal de commerce de Paris, 16 janvier 2020, n°2020001069

Une enseigne de grande distribution française, INTERMARCHÉ, a souhaité dans le cadre d’une stratégie marketing, déréférencer les produits COCA-COLA de l’ensemble de ses enseignes. En août  2019 le groupe INTERMARCHE a annoncé remplacer en plusieurs étapes lesdits produits par ceux d’autres marques fournissant des boissons plus saines et moins transformées. La relation commerciale liant les deux groupes depuis 30 ans serait ainsi sacrifiée sur l’autel du marketing.

COCA-COLA ne l’a pas entendu de cette oreille et a souhaité mettre immédiatement fin à leur relation commerciale. Malgré une tentative de négociations commerciales pour 2020, COCA-COLA a estimé que celles-ci n’aboutissaient pas. Le 24 décembre 2019, elle a alors notifié au groupe INTERMARCHÉ son intention de ne plus livrer aucun produit de la marque à compter du 2 janvier 2020. Sévère, mais le groupe INTERMARCHÉ pouvait-il avoir le beurre et l’argent du beurre ?

Nouvelle réplique, d’INTERMARCHÉ, judiciaire cette fois, qui a assigné en référé la célèbre marque de colas aux fins de la voir condamner pour rupture commerciale brutale aux termes du nouvel article L442-1 II du Code de commerce, qui dispose que :

« II. – Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l’absence d’un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels.

En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l’auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d’une durée insuffisante dès lors qu’il a respecté un préavis de dix-huit mois. »

En s’appuyant sur les négociations entre ces mêmes parties, qui ont pris fin en avril 2019, le Président du Tribunal de Commerce de Paris a caractérisé que le refus de livrer ses produits, avec un préavis de neuf jours relève d’une rupture abusive et d’un abus de position dominante. Cette position est remarquable : la notion de rupture brutale des relations commerciales a initialement été introduite pour défendre les petits fournisseurs des abus de la grande distribution. Or, ici, il trouve à s’appliquer pour cette même grande distribution mais contre un très grand fournisseur.

Constatant un manquement de la part de la SAS COCA-COLA EUROPEAN PARTNERS FRANCE, le Président du Tribunal de Commerce de Paris va la condamner à reprendre ses livraisons sous peine d’une astreinte journalière de 460 000 euros correspondant à une journée de vente des produits de la marque par le groupe INTERMARCHÉ. Le groupe COCA-COLA va donc être, provisoirement, obligé de livrer ses produits à une société qui ne souhaite plus les distribuer à terme.

Provisoirement car cette décision a été rendue en référé et donc dans l’urgence. Et nul doute que le feuilleton va reprendre : d’autres instances sont en cours. Par ailleurs, comme le précise le nouvel article L442-1 du code de Commerce (issu du décret du 24 avril 2019), l’action en rupture brutale n’est plus ouverte lorsqu’a été respecté un préavis minimum de 18 mois. Mais ici, INTERMARCHÉ souhaitait déréférencer certains produits dès l’été 2020 ! Qui est donc le plus susceptible d’engager sa responsabilité en rompant la relation commerciale établie depuis 30 ans ? On attend avec impatience la position du Tribunal de commerce de Paris sur ce point.

Hadrien Debacker

Hadrien Debacker

Associé, Département droit des affaires