Rupture brutale des relations commerciales…

RUPTURE BRUTALE DES REALTIONS COMMERCIALES ET CONTRAT DE GÉRANCE-MANDAT SONT-ILS ARTICULABLES ?

Cour de Cassation, Chambre Commerciale 2 octobre 2019, n°18-15.676

Une société spécialisée dans le conseil et la gestion aux entreprises a conclu un contrat de gérance-mandat d’une durée d’un an avec tacite reconduction avec une enseigne de distribution. Trois ans plus tard, cette dernière rompt la relation contractuelle. Celle-ci est alors assignée par son cocontractant d’une part pour rupture brutale des relations commerciales établies, prévues par l’article L442-6 I 5° du code de commerce et d’autre part en nullité la clause de non-concurrence limitant notamment à « cinquante kilomètres à vol d’oiseau » la possibilité offerte à la société de conseil de se réinstaller issue du contrat de gérance-mandat.

I. Sur la clause de non-concurrence :

L’arrêt apporte un éclairage concernant la clause de non-concurrence dont la Cour d’Appel de Paris a prononcé la nullité. Selon ses dires, celle-ci était disproportionnée aux intérêts de l’enseigne qui s’en prévalait et quant à la possibilité laissée à l’autre partie de pouvoir se réinstaller. La nullité, va être confirmée par la Chambre commerciale.  Cette dernière, à peine de nullité, doit :

  • Être limitée dans l’espace (n’est pas admise une clause imprécise ou visant un territoire trop vaste)
  • Être limitée dans le temps (n’est pas admise une clause insuffisamment limitée ou à la durée trop longue)

Ces limitations sont appréciées au regard de l’activité économique en jeu. En l’espèce le rayon de 50km apparait relativement restreint. Toutefois la densité du réseau de distribution de l’enseigne est telle que le champ géographique en question, aussi restreint était-il, annihilait toute possibilité, pour l’ancien mandataire, de se réinstaller.

II. Sur la rupture brutale :

Le contrat de gérance-mandat répond à des dispositions propres du code de commerce et notamment à l’article L146-4 lequel dispose :

« Le contrat liant le mandant et le gérant-mandataire peut prendre fin à tout moment dans les conditions fixées par les parties. Toutefois, en cas de résiliation du contrat par le mandant, sauf faute grave de la part du gérant-mandataire, le mandant lui verse une indemnité égale, sauf conditions plus favorables fixées par les parties, au montant des commissions acquises, ou à la commission minimale garantie mentionnée à l’article L. 146-3, pendant les six mois précédant la résiliation du contrat, ou pendant la durée d’exécution du contrat si celle-ci a été inférieure à six mois. » 

La Cour d’Appel de Paris a rejeté la demande de la société évincée au titre que les dispositions codifiées à l’ancien article L442-6, I 5° du Code de commerce. Selon cette juridiction, seul l’article L146-4 du même code, du fait de sa spécificité trouverait s’appliquer. L’article L442-6 I 5°, lequel serait incompatible avec l’article L146-4 précédemment cité, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 24 avril 2019 dispose que :

« I. – Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :

5° De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels… » 

La chambre commerciale va infirmer l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris en ce qui concerne la rupture brutale estimant que les deux articles du Code de commerce cités plus haut sont combinables : l’un, L146-4, prévoit une indemnité, l’autre L442-6, I 5°, conditionne et exige un préavis. Rien de contradictoire donc, mais plutôt une complémentarité.

En conséquence, le préavis a été considéré insuffisant au regard de la durée de la relation commerciale établie entre les deux sociétés, parties au litige. La position de la chambre commerciale apparaît novatrice concernant l’applicabilité de l’article L442-6, I 5° dans le cadre d’un contrat de gérance mandat. A ceci-près que le contrat en question était doublé en l’espèce d’un contrat d’approvisionnement auprès de l’enseigne. Or, comme s’interroge Xavier Delpech (Rupture brutale d’une relation commerciale établie : application au contrat de gérance mandat, Dalloz Actualité 17 octobre 2019), c’est peut-être l’articulation entre ces deux contrats qui a poussé la Cour à permettre l’application de l’article L442-6, I 5° au contrat de gérance-mandat.

La relation avec un gérant-mandataire, relation commerciale comme les autres au point de lui appliquer les dispositions relatives aux ruptures brutales ? La cour d’appel de Paris, en tant que juridiction de renvoi, nous éclairera assez rapidement sur ce point. Le cas échéant, cette réponse aura potentiellement des répercussions concernant d’autres statuts tel celui de l’agent commercial.

Hadrien Debacker

Hadrien Debacker

Associé, Département droit des affaires